The Prairie Still Lives in Winnipeg (1972)
(La Prairie est encore vivante à Winnipeg)

Par Robert W. Nero


M. Robert W. Nero est l’une des quelques personnes dévouées qui ont participé à la préservation du Musée-nature de la Prairie et ont empêché qu’il ne se transforme en lotissement résidentiel. Pendant le dernier quart de siècle, il a travaillé avec Lady Grayl, une chouette lapone blessée qu’il a recueillie et qu’il a apprivoisée pendant sa période de réhabilitation. Lady Grayl et M. Nero ont passé beaucoup de temps à visiter les écoles et à participer à d’autres manifestations publiques pour éduquer les gens sur la situation critique de la chouette lapone.

Selon LES MANUELS SCOLAIRES, l’essentiel du sud du Manitoba était autrefois recouvert d’herbes et de fleurs des prairies, son climat est celui des Prairies et le Manitoba est l’une des provinces des Prairies. On parle beaucoup de la beauté du ciel des Prairies et la plupart des habitants de la province savent que l’anémone des prairies est l’emblème floral provincial. Mais qui donc a vu une vraie prairie?

Pour la plupart des gens, le terme prairie est synonyme de vastes espaces plats, balayés par les vents, tour à tour chauds et froids; d’endroit où cultiver des céréales et, parfois, élever du bétail. Cependant, les naturalistes et les scientifiques définissent la prairie comme un écosystème particulier composé d’herbages, soit une communauté végétale complexe où prédominent les herbes.

Ce sont les tout premiers pionniers qui ont baptisé de prairie les grands espaces recouverts de hautes herbes et de fleurs sauvages longeant l’extrémité occidentale de la forêt de feuillus de l’Est américain. Les spécialistes des plantes les ont appelés la Prairie normale par opposition aux herbages situés plus à l’ouest des grandes plaines aux herbes plus courtes.

La Prairie normale s’appelle également la haute Prairie parce que la plante la plus visible est une espèce appelée le barbon de Gérard qui atteint parfois dix pieds de haut. C’est le genre de prairie à hautes herbes qui couvrait autrefois la vallée de la rivière Rouge au Manitoba. De nos jours, des millions d’acres de blé, de betterave à sucre et de maïs remplacent les hautes herbes et la Prairie normale a presque entièrement été sacrifiée au profit de l’agriculture.

Il reste encore quelques petits bouts de la Prairie normale le long des emprises de chemin de fer et dans des petits coins non cultivés. Ces restants de prairie servent de laboratoire vivant et inhabituel pour la recherche et l’éducation. Mais, parmi toutes les aires naturelles, la Prairie normale est celle qui est la moins étudiée, en partie parce qu’elle a été considérablement détruite avant que l’on ne se rende compte de son importance. Dans plusieurs régions des États-Unis, des efforts ont été entrepris pour recréer les prairies en plantant des graines récupérées de plantes poussant le long des emprises de chemin de fer, mais il faut au moins attendre vingt ans pour obtenir quelque chose qui ressemble à une prairie indigène. Les naturalistes sont vivement à la recherche de restants de prairie, car de tels endroits regorgent de fleurs sauvages et, chaque année, ils sont de moins en moins nombreux.

En 1968, un groupe de personnes a entrepris d’identifier et de préserver les restants de prairie au Manitoba. Dans le cadre du Programme biologique international, ce projet a regroupé plusieurs ministères, des universités, des naturalistes et des non-spécialistes. À la surprise générale, la meilleure des quatre dernières prairies les plus grandes et les moins perturbées au Manitoba se trouvait dans les limites du Grand Winnipeg, dans la banlieue de St. James-Assiniboia.

À cet endroit, le calcaire du substrat rocheux est proche de la surface et près de 150 acres d’herbe naturelle avaient survécu dans le quartier Silver Heights. On pense que le nom de ce quartier vient du feuillage argenté et abondant de diverses plantes des prairies qui poussaient sur les hauteurs, au nord de la rivière Assiniboine. Les botanistes et les amoureux de fleurs sauvages connaissaient bien cette prairie qui était l’un de leurs lieux de visite préférés au printemps et en été. Mais personne ne se serait jamais douté que c’était la plus belle prairie à hautes herbes du Manitoba.

Une campagne de préservation fut rapidement entamée, car le terrain était déjà zoné et destiné à un grand projet d’aménagement résidentiel. Des personnalités universitaires, des représentants de musées, des naturalistes et des horticulteurs réussirent à convaincre les autorités municipales de renoncer aux intérêts financiers au profit des marguerites juste pour préserver un bout de prairie indigène. Malgré les pressions du milieu industriel et des promoteurs, vingt-cinq acres de la prairie de Silver Heights furent protégés et qualifiés d’aire naturelle en avril 1970.

Le terrain herbeux et fleuri qui est préservé à titre d’exemple vivant de la prairie à hautes herbes de la vallée de la rivière Rouge porte le nom officiel de St James-Assiniboia Prairie Living Museum. Même si le site est relativement petit, les autorités sont convaincues qu’avec une planification soignée, il sera possible d’offrir aux visiteurs une expérience véritable de la prairie. On prévoit la création d’un centre d’interprétation permettant aux groupes scolaires de venir étudier l’écologie de la prairie et d’examiner les plantes avant d’aller les voir de plus près sur le terrain. On a déjà aménagé des allées et le public peut maintenant se promener relativement facilement dans la prairie. Ceux et celles qui n’ont peut-être encore jamais vu une anémone des prairies ont l’occasion d’en admirer des centaines ici-même au début du printemps.

D’avril à septembre, le Musée-nature de la Prairie est une véritable attraction pour les touristes et pour les résidents locaux. Enfants d’âge scolaire, enseignants et gens ordinaires peuvent maintenant s’informer sur l’écologie de la prairie, photographier des fleurs sauvages indigènes et admirer le feuillage bleuté du barbon de Gérard. Dans le site, plus de 125 espèces différentes d’herbes et autres plantes ont été répertoriées, dont certaines sont rares. Un jour qu’il visitait la prairie en compagnie d’une botaniste qui lui indiquait les nombreuses espèces présentes, un journaliste avoua qu’il avait l’impression de marcher dans un jardin et qu’il avait presque peur de poser son pied par terre.

Aucune autre ville au Canada ne possède une prairie naturelle intacte. Il n’existe peut-être pas d’autre preuve de l’intelligence de la population d’une ville que la décision de préserver un petit bout de la prairie originale. Pour le public, le musée est un endroit où il peut apprendre que la nature est belle, utile et complexe, et que la prairie est bien plus que de vastes champs cultivés.

La réaction du public a été très favorable à la préservation de la prairie. Comme l’a exprimé l’écrivaine locale, Mary M. Ferguson : « Nous qui nous souvenons des champs de notre enfance couverts d’anémones au début du printemps, nous nous souvenons aussi des délicates campanules, des marguerites, des boutons d’or, des grémils blanchâtres, des lis orangés et des roses sauvages de l’été. Nous les ramassions gaiement, convaincues qu’il y en aurait encore plus l’année suivante. À la fin août, les marguerites jaunes et le panache délicat des verges d’or annonçaient l’automne. . . Nous savons à présent qu’en préservant soigneusement la prairie, nous allons continuer à jouir de toute cette beauté. Les êtres humains sont attirés de façon magnétique par cette prairie changeante, que nous avons presque laissé périr mais dont nous avons finalement réalisé qu’il fallait préserver la splendeur. » (trad. libre)

Angus Shortt, peintre animalier renommé et habitant de Winnipeg, a lancé ce message dans une lettre adressée au Times de St. James : « À titre d’anciens résidents de St. James (ayant vécu pendant vingt ans à Deer Lodge), nous avons passé de nombreuses heures de détente exquise à nous promener dans la propriété de Silver Heights qui, après la Deuxième Guerre mondiale, s’est transformée en quartier résidentiel. Ces promenades étaient de plaisants interludes après la bousculade et l’agitation du monde des affaires. La prairie peut également servir de refuge dans notre « monde de béton » et, tout en préservant un échantillon unique de la prairie des pionniers pour le bien des prochaines générations. . . c’est dans l’avenir que repose sa véritable valeur. » (trad. libre)


NERO, Robert W. The Prairie Still Lives in Winnipeg, publié précédemment dans The Beaver, vol. 306, no 4, printemps 1972: 26-29.