The First Manitoba Farmers: Plant Remains from the Lockport Site (2003)
(Les premiers agriculteurs du Manitoba : Vestiges de culture au site de Lockport)

Par C. Thomas Shay et Margaret Kapinga


Creighton Thomas Shay a obtenu une maîtrise et un doctorat en anthropologie de l’Université du Minnesota, accompagnés d’une mineure en botanique. Il est devenu un érudit du troisième âge après avoir enseigné l’anthropologie et l’archéologie pendant 26 ans à l’Université du Manitoba. Il s’intéresse à l’ethnobotanique, en particulier les usages anciens des plantes, et il a passé plusieurs années en Grèce et dans l’Ouest du Canada avec son épouse Jennifer dans le but d’identifier des graines et du charbon de bois provenant de sites archéologiques. Il a participé à de nombreux projets de recherche qui ont eu pour résultat une monographie et environ 50 documents techniques, chapitres de livres et rapports. Il vient de mettre au point une série de plans de leçons sur l’histoire et la biologie du maïs à l’intention des écoles primaires. Lors de son départ à la retraite en 1993, ses anciens étudiants ont fondé une bourse d’études à son nom. Un récent examen de la bourse d’études Tom Shay a révélé que son fonds de dotation se chiffre à plus de 175 000 $. Au cours des six dernières années, un montant global de 58 000 $ a été réparti sous forme de bourses d’études entre treize étudiants diplômés.

La journée était belle. Le soleil printanier brillait sur un petit groupe de femmes qui travaillaient le sol avec des houes à manche en bois façonnées à partir d’omoplates de bisons. Elles arrachaient des arbustes afin de préparer des lots à jardiner pour le printemps. Il faudrait bientôt planter les grains de maïs précieusement emmagasinés depuis la récolte de l’année dernière. L’ensemencement du maïs était précédé d’une bénédiction.

La plantation était un dur travail, mais les femmes jasaient et chantonnaient en travaillant sous le soleil chaud, heureuses d’avoir vu baisser la crue du printemps. Elles se réjouissaient également de l’abondance de la pêche printanière aux rapides voisins. Les femmes formaient de petits monticules de terre au centre desquels elles faisaient des trous avec un bâton et y déposaient une demi douzaine de graines de maïs.

Après la plantation, les femmes se livraient à d’autres tâches. Certaines d’entre elles tissaient des nattes en joncs ramassés le long de la rive marécageuse de la rivière et d’autres façonnaient des cocottes d’argile pour la cuisson et la mise en conserve. Pendant ce temps, les hommes se préparaient pour la chasse. Ils fixaient habilement des pierres pointues à l’extrémité de leurs flèches et de leurs lances en bois. Bientôt ils s’aventureraient dans la prairie voisine pour la chasse au bison.

Plus tard, à l’approche de l’automne, il serait temps de récolter le maïs. Après que les gros épis avaient été arrachés et décortiqués, une autre cérémonie importante devait avoir lieu : c’était la fête de la récolte au cours de laquelle de la viande de bison séchée et des robes de cérémonie étaient offertes à l’esprit du maïs.

Après la cérémonie, la fête commençait. D’épaisses tranches de viande de bison rôtissaient sur le feu, tandis que des marmites à bouillir pleines de poisson séché et de légumes s’exhalait un arôme qui se répandait dans tout le camp. Une certaine quantité de maïs était ajoutée aux ragoûts, mais le reste était transformé en farine et roulé en boules de maïs que l’on faisait cuire. D’autres graines cueillies le long des rives étaient ajoutées à la farine. En guise de dessert, on servait des petits cornets de sucre confectionnés au printemps à partir de sirop provenant d’érables du Manitoba. Ce qui restait du maïs et de la viande de bison séchée était soigneusement enveloppé et enfoui dans des fosses profondes pour un usage ultérieur.

Ainsi se terminait, il y a six cents ans, une autre saison de croissance dans la vie d’un groupe d’Autochtones.

Voilà une belle histoire, me direz-vous, mais de nombreuses découvertes nous ont révélé que les premiers Autochtones cultivaient, il y a bien longtemps, du maïs (ou du Maize Zea mays) à Lockport, sur les rives de la rivière Rouge. Grâce aux recherches des archéologues, nous en savons beaucoup plus sur le genre de vie qu’on vivait jadis à Lockport, 14 km au nord de Winnipeg et 40 km en amont du lac Winnipeg. Des excavations effectuées par la Direction des ressources historiques du Manitoba ont mis à jour des vestiges d'établissements très anciens qui nous éclairent sur le genre d'outils et d'ustensiles que les peuples primitifs utilisaient et sur la nourriture qu’ils mangeaient. Par exemple, les fouilleurs ont trouvé des omoplates de bison servant de houes, des pierres qui auraient pu servir de meules, des grains de maïs carbonisé, des fragments d'épis de maïs et des fosses de conservation profondes. La période d’occupation la plus intense remonte aux dernières années qui ont précédé l’arrivée des Européens, soit il y a environ 600 ans.

Notre projet se limitait aux aspects ethno-botaniques de la vie des premiers Autochtones. Nous voulions savoir quelles cultures ils ensemençaient et quelles autres plantes ils utilisaient. À cette fin, nous avons commencé par faire une enquête sur les diverses formations végétales actuelles, étant convaincus qu’une meilleure connaissance de ces dernières nous aiderait à interpréter le passé. Notre enquête nous a donné une idée du genre de plantes qui auraient pu exister alors et des vestiges que nous pourrions possiblement trouver. Pour terminer, nous avons analysé les graines et les restes carbonisés qui ont été recueillis pendant les fouilles de 1986 à 1988, dans l’espoir qu’ils nous fourniraient des renseignements directs sur les plantes utilisées dans le passé.

Au cours de notre brève enquête, nous avons repéré près d’une centaine d'espèces de plantes qui poussent dans la région de Lockport. Les formations avoisinantes comprenaient une forêt alluvionnaire sur la terrasse inférieure et un marais longeant la rivière. Des champs cultivés, des surfaces en prairie et des bosquets d’arbres couvraient les terres hautes. Parmi les arbres forestiers, on a trouvé une abondance d’érables du Manitoba (Acer negundo), ainsi que des chênes à gros glands (Quercus macrocarpa), des ormes d’Amérique (Ulmus americana), des frênes verts (Fraxinus pennsylvanica) et des trembles (Populus tremuloides).

La famille des arbustes comprenait des saules de l’intérieur (Salix exigua) et des noisetiers d’Amérique (Corylus americana), mais on y trouvait également plusieurs espèces à baies comestibles et à fruits charnus telles que le cerisier de Virginie (Prunus virginiana), le rosier sauvage (Rosa spp.), le framboisier (Rubus idaeus) et l’amélanchier (Amelanchier alnifolia). La couverture végétale était composée de graminées et d’herbes, y compris des espèces de mauvaises herbes originaires de l’Europe. Avant le début de la colonisation par les Euro-Canadiens pendant la première moitié du dix-neuvième siècle, la forêt alluvionnaire et les surfaces en prairie étaient sans doute plus grandes et plus diverses.

Avant la colonisation par les Européens, les aliments végétaux qu’on pouvait trouver dans la région de Lockport auraient compris plusieurs graines, baies et fruits charnus comestibles. En outre, il existait une variété de bois utilisés comme combustibles et à d’autres fins.

Armés de ces renseignements sur la situation actuelle, nous avons dirigé notre attention sur les signes qui pourraient nous indiquer quelles plantes étaient utilisées autrefois. Puisque la plupart des graines se décomposent rapidement dans le sol, la carbonisation est à peu près le seul moyen de confirmer que certaines plantes étaient utilisées autrefois. On est en droit de se demander comment ces graines auraient pu devenir carbonisées. Dans la préparation des aliments, les graines comestibles comme celles de l’aliment très utilisé, le chénopode (Chenopodium), étaient généralement desséchées ou grillées sur le feu pour empêcher qu’elles ne germent pendant leur conservation. Parfois au cours du dessèchement, des graines tombaient dans le feu et devenaient carbonisées. D’autres aliments toutefois ne pouvaient pas être préservés aussi facilement. Les petites graines de baies telles que l’amélanche sont normalement ingérées et rejetées plus tard dans les selles. De plus, les plantes recherchées pour leur sève, leur feuilles, leurs fleurs, leurs racines ou leurs tubercules auraient peu de chances de devenir carbonisées. Même si elle sont carbonisées, le parenchyme se fragmenterait facilement et il serait difficile de le récupérer et de l’identifier.

Pour compliquer les choses, l’activité humaine n’est pas la seule source des graines. Celles que produit la végétation environnante s’accumulent également dans le sol et celles qui ont été carbonisées accidentellement peuvent être attribuées à tort à l’activité humaine. En outre, une fois enfouies dans le sol, les graines peuvent être déplacées par l’action gel-dégel ou par les animaux fouisseurs.

Le bois que ces peuplades utilisaient pour faire du feu pourrait nous révéler le genre d’arbres et d’arbustes qu’ils faisaient brûler. La carbonisation préserve la structure du bois de sorte que, au microscope, même un petit fragment (environ un demi centimètre de long) permet de déterminer le genre.

Comme dans toute autre recherche archéologique, la reconstitution de l’utilisation ancienne des plantes est un travail laborieux et de longue haleine. Puisque la plupart des graines et des fragments de charbon de bois sont petits et granuleux, il n'est pas facile de les repérer avec des pelles et des truelles. Plutôt que de cueillir les graines et fragments minuscules pendant l’excavation, il a été jugé plus efficace de tirer environ un gallon (quatre à cinq litres) ou plus de terre des foyers, des fosses de conservation et d’autres endroits qui semblaient riches en charbon de bois. Des échantillons de sol ont été classés selon leur niveau et l’endroit où ils se trouvaient dans le site avant d’être transportés là où nous avions récupéré les graines et le charbon de bois.

La récupération s'est effectuée par flottation – les résidus légers de nature organique flottaient à la surface du liquide contrairement aux particules de sol plus lourdes. Le triage s’est avéré l’opération qui a pris le plus de temps car il a fallu examiner minutieusement des centaines de monticules de radicelles et d’autres débris. Après avoir été récupérés, les graines et le charbon de bois ont été identifiés à l’aide de collections de référence modernes.

Bien que le processus ait pris beaucoup de temps, il s’est avéré gratifiant. Des graines et des fragments de bois carbonisés ont été trouvés dans des couches d’habitation anciennes, dans des fosses de conservation et près d’anciens feux de camp. Dans plus de cent échantillons de sol nous avons trouvé plus de 2600 graines carbonisées appartenant à 24 genres de plantes représentant 16 familles.

Nous avons trouvé un grand nombre de grains et de fragments d’épis de maïs carbonisés du type appelé Eastern Complex à huit rangs. Si on ajoute cela à la découverte des houes à omoplate et des fosses de conservation en forme de cloche, nous avons la preuve que les peuples autochtones ont cultivé du maïs dans le sud du Manitoba bien des siècles avant l’arrivée des Européens. Lockport est également reconnu pour être l’endroit le plus septentrional en Amérique du Nord où l’agriculture pré-Européenne a été exercée. De récentes excavations semblent indiquer que le maïs a également été cultivé dans le sud-ouest du Manitoba.

Des vestiges d’une variété de plantes sauvages comestibles ont également été trouvés à Lockport. Parmi les graines carbonisées les plus communes, on a trouvé du rumex maritime (Rumex maritimus), du chénopode (Chenopodium), du framboisier (Rubus idaeus) et de l’amarante (Amaranthus). Notre enquête sur les formations végétales nous porte à croire que toutes ces plantes auraient pu pousser dans les environs.

En résumé, le site de Lockport nous a donné de riches vestiges culturels et organiques qui nous aident à mieux comprendre l’histoire culturelle du sud du Manitoba au cours des derniers 3000 ans. La découverte la plus importante a été celle des vestiges carbonisés de maïs domestique, et si l’on ajoute celle des fosses de conservation et des houes à omoplate situées à des niveaux qui remontent à six cents ans, il devient évident qu’on s’est livré à l’agriculture beaucoup plus tôt qu’on ne le croyait. On a également découvert une variété de graines et de baies comestibles, ainsi que du charbon de bois provenant de divers arbres et arbustes locaux.

Nous croyons toutefois n’avoir fait qu’un faible pas dans notre marche vers une connaissance approfondie du passé. Il en reste beaucoup plus à apprendre sur les premiers agriculteurs autochtones.

Remerciements

Des fonds ont été fournis par le Programme de subventions destinées au patrimoine du ministère de la Culture, du Patrimoine et de la Citoyenneté du Manitoba, par le programme d’aide salariale de la province du Manitoba et par des contributions personnelles.


SHAY, Thomas C. and KAPINGA, Margaret. The First Manitoba Farmers: Plant Remains from the Lockport Site dans The Prairie Garden: Western Canada’s Only Gardening Annual, 2003: 131-134.