Crocuses in Spring (2001)
(Crocus printanier)

Par Doug Collicutt


Doug Collicutt est un biologiste et expert-conseil en environnement autonome qui demeure à Winnipeg et passe l’été dans le Whiteshell. Il aime passionnément étudier la biodiversité du Manitoba et sensibiliser les Manitobains et les Manitobaines à leur patrimoine naturel. Son site Web, www.naturenorth.com, est un témoignage de cette passion.

Je me suis senti contraint d’interpeller un commerçant l’autre jour. Comme je déambulais dans un centre commercial, j’ai entendu par hasard une associée aux ventes dans un atelier de fleuriste donner de faux renseignements à un client au sujet d’une plante. Elle lui faisait remarquer que la petite fleur violacée dans un pot à fleurs, dont le prix de détail était de 3,99 $, était un crocus, la fleur provinciale du Manitoba.

 « Excusez-moi! » dis-je « cette fleur est en effet un crocus, mais elle n’est pas la fleur‑emblème de notre province. Elle est un crocus européen. Notre crocus des prairies indigène est une plante tout à fait différente ».

Comme la propriétaire de l’atelier se trouvait alors à proximité, elle entendit ma remarque et s’approcha de nous. « Veuillez m’excuser, dit-elle, mais je viens d’acheter ces fleurs d'un pépiniériste du quartier que je connais très bien. Il m’a assurée que le crocus est l’emblème provincial du Manitoba. »

« Cela est vrai », lui dis-je. « Le crocus des prairies (nom scientifique : Anemone patens) est la fleur-emblème provinciale du Manitoba, mais cette plante est le crocus européen (nom scientifique : Crocus vernus). Elle fait partie de la même famille de plantes que l’iris, les iridacées. Notre crocus des prairies, comme son nom scientifique le laisse entendre, est en effet une anémone qui fait partie de la famille des renoncules, les renonculacées. Les deux plantes produisent de petites fleurs violacées qui demeurent près du sol et s’épanouissent tôt au printemps, mais elles n’ont rien d’autre en commun ».

« Ah...  merci d’avoir bien voulu éclaircir cette affaire pour nous » a-t-elle répliqué, un peu froidement il m’a semblé.

« Excusez mon intervention, mais vous avez fait là une erreur assez commune » ai-je ajouté. « Les premiers colons avaient découvert une plante indigène qui leur rappelait le crocus européen et c’est le nom qu’ils lui ont donné. Malheureusement, la plupart des gens ne font pas la distinction entre les deux. »

Je reconnais qu’il n’est pas poli de corriger les gens en public et je m’en excuse, mais je ne peux souffrir d'entendre quelqu'un induire les gens en erreur au sujet de notre flore et de notre faune indigènes. Je me prévaux donc du principe de la « précision biologique » chaque fois que j’en ai la chance. La confusion qui règne au sujet de notre fleur-emblème est un exemple typique, mais, en l’occurrence, c’est également ma prédilection pour notre crocus des prairies qui m’a incité à intervenir.

La fleur-emblème du Manitoba est une petite plante extraordinaire, et nous n’avons pas été seuls à en apprécier la valeur car elle est également la fleur-emblème du Dakota du Sud. Comme je l’ai déjà mentionné, le crocus des prairies est une anémone apparentée à la renoncule et à l'ancolie. Elle est une plante vivace en touffe et à pousse basse, avec des feuilles finement découpées. On la retrouve dans la plupart des prairies sèches à hautes herbes et à herbes mélangées, et même dans les zones forestières sablonneuses. Sa caractéristique la plus attachante est le moment de son éclosion. Le crocus est la première fleur des champs à apparaître au printemps, peu de temps après la fonte des neiges. L’éclosion de ses délicats pétales mauves est l’un des vrais signes avant-coureurs du printemps. En effet, l’arrivée du printemps dans les prairies du sud du Manitoba est un événement important.

Toutefois, l’arrivée du printemps dans les prairies ne nous garantit pas que la saison froide est terminée et l’on peut se demander comment le crocus parvient à survivre. Avez-vous entendu parler du chauffage solaire? Comme dans bien d’autres cas, la nature l’a découvert bien avant nous. La fleur du crocus a la forme d’une antenne parabolique. Ses anthères et ses étamines, les éléments mâles et femelles, sont groupés au centre de l’antenne et les pétales déployés agissent comme des réflecteurs qui concentrent les rayons du soleil. La température au centre de la fleur peut être 10 degrés Celsius plus élevée que celle de l’air ambiant. Lorsqu’une abeille, au sortir de son hibernation, s’arrête pour apaiser sa faim, le crocus en profite aussitôt pour recueillir la poussière de pollen qu’elle reçoit  et se mettre à élaborer sa semence. Grâce au chauffage solaire, le crocus peut éclore très tôt au printemps et accaparer l'attention des premiers pollinisateurs (abeilles, mouches, scarabées). L’enjeu est quelque peu élevé toutefois puisqu'un gel tardif rigoureux peut endommager les fleurs et empêcher toute production de semences pour l’année.

L’éclosion précoce du crocus lui permet de faire mûrir sa semence et d’emmagasiner de l’énergie pour le printemps prochain avant que le reste des plantes de la prairie aient poussé suffisamment pour lui fournir de l’ombre et avant la période de sécheresse et de chaleur de l’été. Le crocus pousse très bien dans sa niche printanière des prairies. La rusticité du crocus est une caractéristique que les gens de la plaine croient également avoir.


COLLICUTT, Doug. Crocuses in Spring paru dans le Winnipeg Free Press, Sunday Magazine, What’s Outdoors Section sous le titre Our Prairie Crocus, 6 mai 2001.