Extrait de l’introduction de
Medicinal Wild Plants of the Prairie: An Ethnobotanical Guide (1992)
(Plantes sauvages médicinales des Prairies : Un guide ethnobotanique)

Par Dr. Kelly Kindscher


Kelly Kindscher est né au Kansas. Il y a grandi et a grandi dans la ferme familiale près de Guide Rock, au Nebraska. Il a fréquenté l’Université du Kansas et a obtenu son doctorat en écologie et en biologie évolutionniste en 1991.  En tant qu’écologue pour la Kansas Biological Survey, le professeur Kindscher a pour responsabilités principales de faire des recherches sur les groupements végétaux partout au Kansas et dans les grandes plaines.  Il est l’auteur de deux livres : Edible Wild Plants of the Prairie (1987) et Medicinal Wild Plants of the Prairie (1992), publiés par les University Press of Kansas. Il a aussi publié plusieurs articles scientifiques et rapports techniques sur les plantes de la prairie, la restauration des prairies et des terres humides, l’ethnobotanique, les biens fonciers et l’agriculture.  Monsieur Kindscher est cofondateur de la Kansas Land Trust dont il est actuellement le vice-président. Il est également membre des conseils d’administration de la Tallgrass Legacy Alliance et de la United Plant Savers. Il vit près de Lawrence, au Kansas, où il s’adonne au jardinage et s’occupe activement de protection de l’environnement.

La plupart des tribus indiennes disposaient d’une hiérarchie de plantes médicinales dont certaines étaient d’usage courant pour une grande variété de situations. Ales Hrdlicka, médecin et anthropologue physique à la Smithsonian Institution, insistait sur cette réalité lorsqu’il écrivait en 1932 :

Dans chaque tribu, les anciens, hommes et femmes, connaissaient le pouvoir des herbes et diverses manœuvres ou autres moyens de guérison. Ils répétaient exactement les mêmes gestes que nombre de nos grand-mères et grands-pères ont effectué simplement et avec bon sens, et qui ont souvent donné des résultats remarquables. Ils connaissaient les poisons, les émétiques, les cathartiques, les antipyrétiques, les toniques, les narcotiques, les hémostatiques, les solutions nettoyantes, les gommes et les poudres cicatrisantes. Ils avaient des antidotes. Ils pratiquaient le massage, la pression, la scarification, la cautérisation, l’application de pansements et d’attelles, la succion, les lavements, l’incision et la suture, ainsi que les prélèvements. Mais lorsqu’ils ne savaient trop la cause du problème, ou lorsque la personne était en danger grave et que tous les moyens ordinaires avaient échoué, surtout s’il s’agissait d’un adulte auparavant en bonne santé, ils se tournaient vers le surnaturel. (Hrdlicka, 1932, p. 1661 à 1666).

Les Indiens des Plaines comptaient des  guérisseurs et des guérisseuses (Denig, 1930, p. 422; et Grinnell, 1905, p. 37). Frederick Hodge mentionne, dans son Handbook of American Indians North of Mexico, que  « Ces chamans étaient plutôt du genre rusés : certains étaient sincères, nobles, dignes de respect; d’autres étaient plus ou moins charlatans » (Hodge, 1959, p. 838). Leurs cérémonies de guérison comportaient des chants rituels au son du tambour, des prières et l’usage de plantes médicinales.

Chez les Indiens, ces diverses méthodes étaient intégrées les unes aux autres dans leurs pratiques de guérison. Aux fins de cette recherche, toutefois, j’ai isolé un élément, soit l’utilisation des plantes médicinales.

  Les plantes médicinales ont joué un rôle de premier plan dans le système de santé et de guérison des Indiens, lequel n’était pas statique mais a évolué de manière à répondre aux nouveaux besoins qui se sont présentés. Des maladies semblent avoir été importées en Amérique du Nord par les Européens. C’est le cas des maladies vénériennes et de la variole qui, dans certains cas, ont été traitées avec des plantes indigènes des prairies. (Camazine et Bye, 1980, p. 381 à 383).

Les Indiens de la région avaient aussi recours au moxa. Ils brûlaient une partie de la plante (comme la tige de l’amorphe blanchâtre, Amorpha canescens) sur une blessure. On croyait que la brûlure agissait sur la blessure qu’elle recouvrait. On utilise encore le moxa dans les pays asiatiques pour stimuler un point d’acupuncture ou en guise de révulsif. L’usage du moxa révèle un lien entre les modes de guérison des populations indigènes d’Asie et d’Amérique du Nord. Les plantes utilisées comme moxa par les Indiens des Plaines sont : l’amorphe blanchâtre, Amorpha canescens; l’aster, espèces d’Aster; l’eurotia lanata, Artemisia ludoviciana; le Dalea enneandra; le Lespedeza capitata; la raquette à crins blancs, espèces d’Opuntia; le coqueret de Virginie, Physalis pumila heterophylla et la luzerne sauvage, Psoralea tenuiflora.

La médecine traditionnelle indienne compte également des exemples de ce qu’on appelait en Europe la doctrine des signatures, ou la croyance dans les signes. Selon cette doctrine, les caractéristiques distinctives d’une  plante révèlent son usage sur le plan de la guérison. Par exemple, l’asclépiade à fleurs vertes, Asclepins viridiflora, aussi bien que l’euphorbe marginée, Euphorbia marginata, ont une sève laiteuse qui, pour les Indiens, était le signe (ou la signature) que ces plantes seraient bonnes pour les nourrices qui manquaient de lait.

La grande science des plantes dont jouissaient les Indiens des Plaines transparaît tout au long de cet ouvrage. Toutes les plantes indigènes avaient vraisemblablement été baptisées par les Indiens et, dans certains cas, ces derniers avaient identifié un plus grand nombre d’espèces ou de variétés que nous. Par exemple, la monarde fistuleuse, Monarda fistulosa, compte aujourd’hui deux variétés distinctes dans les grandes plaines (Great Plains Flora Association, 1986, p. 725; et Gilmore, 1977, p. 59). Les Pawnee distinguaient quatre variétés, qu’ils avaient nommées et pour lesquelles ils avaient un usage.

Au moins deux plantes, l’herbe à dindes, Achillea millefolium, et l’armoise, espèces d’Artemisia, étaient utilisées presque de la même façon par les Indiens d’Amérique du Nord et les chamans d’Europe avant que les deux cultures n’aient été en contact. Pour ce qui est de l’Artemisia, le botaniste William Chase Stevens mentionne :

Au Nouveau Monde comme dans l’ancien, les autochtones avaient une relation intime et vitale avec les plantes et il ne faut guère s’étonner que nos Indiens aient utilisé l’Artemisia pour à peu près les mêmes problèmes de santé que les Européens et les Asiatiques. Mais il est étonnant que nos Indiens aient, comme c’est le cas, eu les mêmes superstitions à propos de l’Artemisia et l’aient employée dans des rites et des cérémonies similaires. (Stevenson, 1915, p. 422).

En outre, on utilisait d’une façon très spécialisée des plantes qui sont aujourd’hui considérées comme dangereuses. Par exemple, on attribuait au yucca, Yucca glauca, et à la sanguinaire, espèces du Lithospermum, des propriétés permettant le contrôle des naissances; et l’oxytropis de Lambert, espèces d’Oxytropis, servait à traiter le mal de gorge, l’asthme, les plaies et les troubles de l’oreille, et à augmenter la production de lait des nourrices (Johnston, 1970, p. 314, Hellson, 1974, p. 73; et Hart, 1981, p.29). Ces espèces contiennent des substances toxiques et il fallait bien les connaître pour en obtenir un effet bénéfique.

L’efficacité d’un bon nombre de remèdes traditionnels s’explique par la présence de substances pharmacologiquement actives dans les végétaux. Des 203 plantes de la présente étude, 28 ont déjà figuré dans la pharmacopée des États-Unis. Par contre, on retrouve la plupart d’entre elles dans l’est des États-Unis, plus boisé. Une seule espèce de la pharmacopée des États-Unis, l’échinacée pourpre, Echinacea angustifolia, ne se retrouve que dans la région biologique des prairies. Cela ne signifie pas qu’on retrouve moins de plantes ayant des substances biologiquement actives dans les prairies, mais plutôt qu’on n’a pas encore suffisamment étudié la végétation de cette région. On évalue la proportion des 250 000 à 750 000 espèces de plantes supérieures de la planète qui ont été étudiées pour leurs éléments biologiquement actifs à seulement 5 à 15 pour cent. Un bon nombre de ces études ont porté sur l’analyse d’un type d’élément seulement, comme les agents antitumoraux (Croom, 1983, p. 23). On reconnaît de plus en plus la valeur des plantes en tant que médicaments. L’Organisation mondiale de la Santé est arrivée à la conclusion « que, sur le plan de la santé, pour répondre aux besoins minimaux des pays en voie de développement d’ici l’an 2000, il faudrait avoir recours à la médecine traditionnelle. » (ibidem).

En outre, on s’intéresse de plus en plus aux propriétés médicinales des plantes dans les pays plus industrialisés. En Allemagne, où on a adopté une réglementation libérale sur les préparations à base d’herbes médicinales qui découlent d’une tradition bien implantée de traitement aux médicaments naturels, un sondage a révélé que 76 pour cent des femmes interrogées consommaient des tisanes pour leur effet bénéfique, et environ 52 pour cent de ces femmes prenaient des herbes médicinales comme traitement initial d’affections mineures (Tyler, 1986, p. 281). On remarque que c’est en Allemagne qu’on s’intéresse le plus à l’échinacée pourpre. C’est dans ce pays qu’on a effectué le plus d’études sur ses propriétés immunostimulatrices. Cette plante, indigène seulement en Amérique du Nord, était également une plante médicinale prisée des ivrognes invétérés de la région biologique des prairies.

Aux États-Unis, l’intérêt du public pour les herbes et les plantes médicinales a donné naissance à une industrie dont on s’attend que la croissance s’affermisse. Monsieur Varro Tyler, chimiste dans le domaine de la fabrication de médicaments, affirme « qu’un gouvernement qui soutient un programme d’ingénierie en vue d’envoyer des humains sur la lune n’aura probablement pas le choix d’appuyer aussi la recherche des biologistes portant sur les médicaments dérivés de plantes susceptibles de guérir les maladies qui s’attaquent aux êtres humains ». M. Tyler prédit que le gouvernement « atténuera les normes inutilement rigides de mise en marché des nouveaux médicaments, en particulier de ceux provenant de plantes depuis longtemps en usage dans la médecine traditionnelle et, par conséquent, stimulera plus de producteurs à entamer des études et à mettre au point des produits. » (ibidem).

De nombreuses plantes ont été utilisées comme médicaments aux États-Unis. En 1849, une étude de l’American Medical Association a révélé que plus d’un millier d’espèces de plantes des États-Unis « avaient la réputation d’avoir les qualités médicinales leur permettant de traiter des maladies ». (Davis, 1849, p. 663). Sur le marché des médicaments en 1950, on retrouvait environ 900 espèces de plantes, mais seulement 350 d’entre elles étaient indigènes, naturalisées ou cultivées. Bien qu’on ne dispose d’aucuns chiffres exacts, on évalue à 40 pour cent la proportion de médicaments présentement prescrits et vendus aux États-Unis qui contiennent au moins un ingrédient naturel. Jusqu’à 25 pour cent de nos médicaments d’ordonnance contiennent un ingrédient dérivé d’une plante supérieure (à fleur) (Foster et Duke, 1990, p. vii). Même si la recherche en laboratoire sur les plantes indigènes des prairies ne mènera probablement pas à la découverte d’un traitement du cancer ou du SIDA, on a isolé des agents antitumoraux et des substances qui stimulent le système immunitaire dans certaines de ces plantes.

Les éléments médicinaux et l’usage ethnobotanique des végétaux de la région biologique des prairies n’a pas fait l’objet de suffisamment de recherches. L’étude la plus complète à ce jour se trouve dans les travaux ethnobotaniques de Melvin Gilmore auprès des Indiens de la région biologique des prairies : Uses of Plants by the Indians of the Missouri River Region, publié pour la première fois en 1919 (Gilmore, 1977). Dans ses travaux, Gilmore retrace l’usage des plantes par les Omaha, les Ponca, les Dakota et les Lakota, les Pawnee et les Winnebago. Il décrit l’usage ethnobotanique de plus de 150 espèces intégrées soit dans l’alimentation, soit dans les méthodes de guérison.

J’ai identifié 203 espèces de plantes indigènes des prairies utilisées à des fins médicinales par les Indiens de la région biologique des prairies. L’usage médicinal de ces plantes était probablement très répandu, peut-être même plus que leur consommation. Une étude antérieure avait révélé que seulement 123 espèces de plantes des prairies entraient dans l’alimentation (Kindscher, 1987, p. 4). Bon nombre de plantes servaient à la fois à l’alimentation et au traitement des maladies mais, pour soigner, on utilisait la partie de la plante ayant le plus de propriétés, la préparation était différente, et on administrait une plus forte dose du produit. Quelques espèces médicinales bien connues (le peyotl, Lophophora williamsii; la stramoine, Datura innoxia; et le tabac, Nicotiana rustica) ne figuraient pas dans cette étude, car elles ne sont pas indigènes à la région biologique des prairies. On n’utilise probablement ces plantes dans la région que depuis tout récemment.

Paul Vestal et Richard Schultes du Harvard Botanical Museum sont arrivés à la conclusion, en 1939, qu’« on n’a jamais aussi peu étudié la botanique des plantes d’importance économique des tribus indiennes d’Amérique du Nord que celle des tribus des plaines. » (Vestal et Schultes, 1939, p. 83). Depuis ce temps, on ne compte que quelques études de certaines tribus spécifiques des plaines. La présente étude est la première portant sur toute l’étendue de la région biologique des prairies.

En recherchant tout ce qui a été publié sur l’ethnobotanique et l’histoire de la région biologique des prairies, je n’ai trouvé que quelques mentions de l’usage d’espèces d’arbres ou de plantes aquatiques. Cela vient confirmer les conclusions des historiens et des phytoécologistes selon lesquelles la région comptait peu d’arbres avant l’arrivée des colons blancs. Ce résultat indique également que des tribus comme les Mesquakie (dans l’Iowa d’aujourd’hui), qui se soignaient au moyen des plantes des prairies, étaient probablement originaires des prairies plutôt que des terres forestières. Elles ont continué à préférer la végétation qui prédominait dans leur lieu d’origine, la prairie.

En plus d’étudier l’usage de ces plantes par les Indiens, j’en ai étudié l’usage dans la médecine traditionnelle et la médecine officielle des pionniers et des colons d’origine britannique. J’ai également lu ce qui s’est fait comme recherche dans le domaine des plantes indigènes des prairies. Je remarque que tous les végétaux des prairies utilisés par les médecins avaient d’abord été utilisés par les Indiens de la région.

Avant la fin de la colonisation, bon nombre d’Indiens avaient été déplacés et confinés dans des réserves. Le peu de contact entre les derniers d’entre eux et les colons blancs n’a pas favorisé l’échange de renseignements. Cette lacune sur le plan des échanges peut expliquer pourquoi l’usage médicinal des plantes indigènes des prairies par les pionniers et les colons des pistes de l’Oregon, de la Californie, et de Santa Fe était presque inexistant (Olch, 1985, p. 196 à 212). De surcroît, la vision spirituelle du monde fondamentalement différente entre les deux groupes, en ce qui a trait à la santé, a effectivement nui aux échanges de connaissances sur les plantes en lien avec le traitement des maladies.

Dans une étude sur le folklore du Kansas figure une liste de coutumes traditionnelles sur « la prévention et le traitement des maladies et des blessures » (Koch, 1980). Il s’agit du plus grand nombre de coutumes dans les douze facettes du folklore étudiées, ce qui indique que la santé et la guérison étaient des préoccupations de premier plan. Quoi qu’il en soit, seulement une poignée de plantes de la région servaient à soigner. (La raquette à crins blancs est mentionnée trois fois; le cèdre deux fois seulement, et l’herbe à poux, la verveine hastée, l’armoise et l’asclépiade ne sont mentionnées qu’une fois.) Des plantes provenant d’ailleurs (Le sassafras est mentionné neuf fois.) et des plantes cultivées (Le tabac est mentionné huit fois.) étaient employées plus fréquemment. On utilisait surtout des remèdes qui ne provenaient pas des plantes. Non seulement les colons ont-il ignoré l’usage médicinal des plantes indigènes des prairies, mais ils ont aussi négligé de les considérer comme aliment (Kindscher, 1987, p. 5). En somme, depuis l’époque des pionniers, l’emploi des végétaux par les humains dans la région biologique des prairies a fait l’objet de peu d’attention que ce soit de la part des spécialistes ou des gens ordinaires. Le temps est venu de découvrir ces plantes qui font partie de notre milieu environnant.


KINDSCHER, Kelly. Introduction dans Medicinal Wild Plants of the Prairie: An Ethnobotanical Guide. Lawrance, Kansas: University Press of Kansas, 1992: 6-11